_La nuit s'éclipsait peu à peu sous les premières lueurs du jour, pourtant le port de la ville était déjà bien animé, entre les poissonniers équipant leur chaloupe, les premiers commerçants venant brader les prix de la journée et les voyageurs venus de la mer. Une odeur pestilentielle s'évadait des égouts, tunnels permanents où se déchargeaient les carcasses de poissons invendables et les eaux usés de la ville. Une brume fine s'élevait avec l'aube, n'offrant qu'une vague vision de silhouettes humaines qui se mouvaient plus au loin. Le voyage avait été long depuis Braavos, mais Jaqen H'ghar n'avait pas ménagé ses efforts pour arriver le plus rapidement possible à Port-Réal. La main du Roi était morte, et il avait récemment ouïe par ses sources sûres qu'Eddard Stark et deux de ses filles allaient rejoindre les terres de la Couronne d'ici peu. L'affaire était trop louche pour ne pas intriguer le Sans-visage et le faire assister à la scène de l'arrivé de la maison du Nord.

_L'homme s'était installé dans un coin d'un vieux hangar, une capuche remontée sur la tête et sur le bas de son front. De ses yeux, l'on ne percevait que le bas des paupières inférieurs tant l'ombre les camouflait. Aucun marchand, poissonnier, enfant des rues ou voyageur n'avait dû remarquer sa présence dans ce tumulte allant crescendo. Il était grand, adossé à une poutre de bois noir et anciennement pourrie par les termites qui avaient finalement élues domicile quelques mètres plus loin vers un bois plus appétant. Il observait silencieusement les premiers mouvements, les premières actions de chaque individu ici présent qui étaient trop absorbés par leur propre personne pour distinguer quoique ce soit. Les discussions étaient variées, entre marchandage de catin, les dernières et meilleures prises en mer, des problèmes de tous les jours que tous les gens auraient pu vivre jusqu'alors. Mais celles-ci ne l'intéressaient pas, il voulait en savoir davantage sur l'arrivée des Starks : où, quand, comment, par quel chemin. Mais aucune ne fut divulguée pendant ce laps de temps pendant lequel il avait fait halte. Il se doutait que les réponses à ses questions ne feraient leur apparition qu'auprès d'une seigneurie plus noble, des proches du roi, ou de ses serviteurs. Son irruption en ce lieu n'avait pour excuse que la curiosité des marchands, leur culot et leurs oreilles souvent très attentive au moindre ragots. Et, surtout, il avait besoin de refaire quelques provisions pour quelques jours ; la durée du voyage, aussi précipité soit-il ne lui avait permis d'équiper davantage son destrier -qu'il avait laissé plus loin, à l'extérieur du port.

_Sa main glissa lentement dans une de ses poches, caressant la fine lame de la petite dague. Le contact froid du métal était à la fois rassurant et familier, il esquissa un fin sourire narquois. D'un mouvement efficace, il se redressa et s'approcha d'une étale où se mélangeait -évidemment poissons et végétaux d'océan, et quelques autres recettes qu'il n'y avait pas sur les terres de l'Est. Une odeur agréable se fondait dans l'air, à travers la puanteur iodée et de décomposition, mais il ne sentait que son doigt glissant sur la dague. Il se dirigea vers un échoppe, et arrivé à bon niveau il sortis sa main de la poche, et frappa contre la table de bois devant le marchand. Le bruit du métal trahissait un nombre assez importants de pièces d'argent. Son regard et sa tête se redressèrent, un fin sourire en coin affirmait une lueur inquiétante dans son expression.

« L'équivalent de ces pièces contre ce que vous avez de meilleur, et ce qui se conserve longtemps. » Dit-il d'un ton plus neutre que son expression.

_Le marchand qui s'était tendu à la venue du sans-visage et qui avait cru vivre son dernier souffle lorsque la main de l'assassin était subitement sortie de son habits d'ombre, se détendit soudainement. Du moins, s'y efforça. Bien, monsieur lui avait-il sorti d'une voix hésitante avant de s'en aller chercher les meilleurs et plus durables mets de son échoppe. Jaqen H'ghar attendis patiemment, un œil toujours à l'affût du moindre mouvement suspect. Il était temps d'aller rendre visite à la noblesse de Port-Réal. Ces gens-là ne lui avaient rien appris de ce qu'il savait déjà.

_Le commerçant mettait du temps, les secondes et les minutes passèrent et Jaqen était de plus en plus méfiant. Ce gros homme n'aurait pas quitté les lieux en laissant son propre butin sur l'étalage, et à moins qu'il n'eut prévenu d'autres personnes de l’intrigante venue du personnage qu'était l'homme sans-visage, il devait choisir avec soin les produits qu'il mettrait à disposition de ce dernier de crainte qu'il ne le paie d'une manière peu légitime. L'homme aux cheveux mi-roux et mi-argentés se retourna pour observer de nouveau le port, bien que ce fut plus un regard au-delà de son épaule qu'un véritable tour sur lui-même. Il constata non sans mal que de nouvelles et nombreuses embarcations avaient posé l'ancre sur les places les plus proches. L'embarcation modeste qu'il avait emprunté pour traverser la mer n'était plus qu'un point à l'horizon, ainsi la seule preuve de son passage retournait vers le Royaume d'Essos. Ce regard vers l'arrière dura plus de temps que prévu, sans doute trop car quelque chose -ou plutôt quelqu'un heurta Jaqen. L'homme sans-visage, eut par surprise pris un pied d'appuis pour retenir l'éventuel chute qui s'était annoncée à ce moment même, mais son équilibre et sa rapidité lui permirent de garder une stabilité relativement satisfaisante, aussi n'avait-il presque pas bougé. Par réflexe sa main tomba dans sa poche dans une précision aiguisée par l'habitude de ce geste, il tourna subitement son regard vers la cause de se heurt. Il s’apprêtait à sortir la dague en cas de danger, mais il n'en fit rien lorsqu'il se rendit compte de l'innocence de la rousse. «Oh , pardonnez moi … je ne fais jamais attention ou je mets les ...» avait-elle commencé sans finir. Les yeux de l'homme la détaillèrent en tout point, surtout son visage et ses expressions, son intimité mentale qu'il voulu déceler rapidement pour savoir à qui et à quelle situation il avait à faire. Son air était froid et impassible.

_«Voilà monsieur, pardonnez ce temps...long, je suis allé à la réserve...je heu» Jaqen passa de la femme au commerçant, celui-ci s'épongeait le front d'un tissus déjà salis qui trahissait son usage fréquent. L'homme sans-visage leva un sourcil, prenant ce que le gros homme lui tendait dans un sac de fortune. «Tenez... pour votre argent comme... comme vous l'avez demandé.». Jaqen ne su dire s'il avait une véritable défaillance de la parole, cela paraissait si... naturel. « L'homme vous remercie. » glissa t-il lentement à l'intéressé.

_Il passa une des lanières du sac par-dessus son épaule tout en reportant son attention vers celle qui plus tôt l'avait percuté. Il eut un sourire, creusant d'un petit trait un coin de ses lèvres comme souvent il le faisait. « La Dame sera prudente à l'avenir. » souffla t-il à l'unique et seule attention de la jeune femme, laissant sous-entendre qu'il ne retiendrait pas cet... accident, mais qu'un second aurait pu être de trop. Il s'accoutuma d'une légère révérence marquant le ton, et s'apprêta à faire route vers son destrier.

_L'homme fit quelques pas, bien décidé à quitter le port vers une destination qui pourrait lui être plus instructives. «êtes vous de Port-Réal ?» … «Monsieur ?» Il s'arrêta, étonné qu'elle lui adresse la parole après la maigre -bien que menace tout de même qu'il venait de lui adresser. S'ensuivit un certain silence, que la rousse remplie à nouveau. «Messire ?» Voilà qui devenait intéressant. Qui dans ce port, où les gens aux chaussures boueuses empestant le poisson marchandaient avec un vocabulaire vulgaire, où des bambins venus s'amuser ne prêtent même pas attention à ceux qu'ils bousculent, viendrait rectifier un titre qui n'avait aucune importance à ses yeux tant que sa vie n'est pas en danger? A Port-Real, les Messirs se distinguent fort bien de leur accoutrement destinés à un ornement dévoilant leur richesse. Jaqen ne portait aucun bijoux, ni aucun vêtement de valeur, un fille de Port-Real n'en aurait douté à aucun instant. Sans doute n'aurait-il pas besoin d'aller bien loin pour trouver ce qu'il cherche. Toutefois, il était hors de question de la mener sur une quelconque piste : elle ne devait avoir aucune information sur sa personne, que ce soit ou non un mensonge car lui-même devrait en user en dernier recours, et à son avantage. Hors à distribuer de vraies ou de fausses informations au préalable, cela faisait des témoins tout particulièrement gênants. Il commença alors, toujours le dos tourné à son interlocutrice. Sa voix suave et masculine s'éleva avec un calme désarmant.

« Et si l'homme en question répondait que le monde lui-même est un lieu, la Dame se ferait-elle aussi curieuse? » Puis il se retourna.

Il l'observa à nouveau, ce visage aux formes plus rondes témoignant qu'elle n'avait surement pas dépassé la vingtaine, cette chevelure rousse et ce teint blanc. Son regard était toujours sans émoi, et pourtant le dureté de ce dernier avait lentement faiblis, son air se contenta d'être distant et paradoxalement, légèrement intéressé. Il laissa planer quelques temps après sa question rhétorique, destinée simplement à ne pas répondre à la question qu'elle lui avait posé. Ou du moins, de la dévier subtilement. Il jeta un œil au chahut qui s'amplifiait en dehors de leur rencontre. Des gens passaient entre eux, autour, les esquivait. Il eut un sourire en coin, comme précédemment le dernier lui avait dessiné les traits. La jeune femme était bien curieuse, et Jaqen aurait en d'autres circonstances aimé la faire taire si elle s'intéressait plus amplement à sa personne. Mais aujourd'hui ce pouvait être un caractère dont Jaqen H'ghar pourrait bénéficier, le tout était de savoir si elle avait les informations qu'il recherchait. Il se rapprocha doucement de la rouquine, jetant un œil à l'étalage qu'il avait laissé quelques secondes plus tôt, déserté par son propriétaire. L'homme sans-visage se pencha légèrement en avant, vers elle, rendant leur échange plus intime, il laissa se glisser calmement ces quelques mots...

« Mais peut-être la femme puis renseigner l'homme, si sa curiosité est à la hauteur de ce que l'homme a décelé. »

Sa main jouait toujours dans son autre poche. Il la sortie, menant à ses lèvres le délicieux fruit qui y avait élu domicile après avoir été furtivement extirpé du sac de provisions. Il croqua dans le fruit dans un bruit de chaire fendue. Jaqen leva un sourcil, un air questionneur pour appuyer sur sa dernière remarque. Il se redressa, ils étaient proches l'un de l'autre mais un bon mètre continuait de les séparer. Il attendit, goutant au fruit défendu.

_Jaqen comprenait fort bien le malaise de la jeune demoiselle par les temps de silence qui trahissaient son hésitation. Il prit la peine d'attendre une réponse de sa part, comme il le faisait toujours lorsqu'il sentait qu'il en avait assez le temps et le confort. Puis enfin sa patience fut récompensée. L'assassin sans-visage eu un nouveau sourire, un sourire partant d'un honnête sentiment mais quelque peu masqué par son habitude impassible. Il pouvait s'attendre à ce que ses interlocuteurs prennent la même mesure et le même jeu de ses mots, mais la manière dont elle l'avait fait -retournant cette manie sur sa propre-personne, et rangeant ainsi momentanément les doutes qui devait l'envahir, l'étonna et lui plu à la fois. Il se redressa, tournant le regard dans la même direction qu'elle l'avait fait quelques secondes plus tôt et ce à plusieurs reprises. L'homme sans-visage sembla étudier ce qui avait attiré l'attention de la demoiselle, ou plutôt quelles personnes recherchait-elle pour se sentir plus en sécurité, trouver un réconfort, une épaule confirmant qu'elle n'était pas seule face à lui. Quelqu'un qui devait être proche d'elle pour qu'elle cherche plusieurs fois parmi la foule. Qui que cela pouvait-être, il ne s'en inquiéta pas davantage et en revint à la jeune fille dans un calme serein et inébranlable. Il songea un instant que ses dires pourraient contraindre ses probables futurs projets, et qu'en quémandant une seule information bien qu'anodine ou banale aux yeux d'une quelconque personne il pourrait les mener à signer leur propre arrêt de mort par simple précaution. Il le savait, il le savait comme il savait que malgré le silence et l'absence de bruit, il respirait. Il la regarda en coin, la tête toujours tournée vers l'ancienne direction, son regard s'intensifiant légèrement. Et si, elle parlait trop? Elle devait déjà assez douté de son innocence, alors méfiante qu'elle serait il y aurait peu de chance qu'elle ne divulgue une telle rencontre à ses proches, ou à ses éventuelles servantes. Aussi posa t-il rapidement le pour et le contre, puis décida finalement que l'évènement était trop important pour ne pas prendre de risques.

Jaqen pris le fruit croqué au bout de ses doigts, d'une main à hauteur d'épaule. Puis silencieusement, la fit tourner d'un air volontairement songeur. Il l'observa d'un faux-intérêt, remarquant la couleur qui était de jaune et de rouge, de lumière et d'obscurité, de pureté et de sang. L'avenir comme il le voyait, l'avenir qu'il déduisait en pensant aux récents évènements. Pourtant il ne pouvait en être certain, mais il était l'ombre des gens, celle qui entend tout sans se faire voir, celle qui se apprend et enseigne, celle qui joue des pions paressant inoffensifs et qui pourtant parviennent à renverser les plus crains. Le tumulte accrût, les langues allaient bon train et les dernières nouvelles aussi. Les nouvelles aussi. Ainsi se garda t-il alors, de quémander l'information dont il avait eu besoin et dont il était possesseur à présent.
D'un vif balayage ses yeux parcoururent la foule avant de s'arrêter dans celui de la jeune aux cheveux frisés. Le fruit glissa dans la pomme de sa main, et ses doigts se refermèrent dans sa main pendant que cette dernière s'abaissa de nouveau.

« Ma Dame, semble attendue. » dit-il en levant sa main qui tenait toujours la pomme, désignant lentement de son index la direction d'une femme plus âgé qui les regardait de plus loin.

Cette bien que maigre intervention venait de dévier son engagement, aussi n'aurait alors t-il pas à inventer quoique ce soit pour feindre un quelconque intérêt sur un renseignement dont il n'aurait même pas usage. Il se contenta alors de dire, dans un ton laissant planer le mystère et pouvant laisser transparaître un quiproquos ; comme par exemple, que sa précédente curiosité n'avait d'intérêt que le rang de la jeune femme -ce qui était bien évidemment faux.

« L'homme a trouvé ce qu'il cherchait. Il vous est reconnaissant. »

En réalité elle n'y était pour rien, ou indirectement. Si elle ne l'avait retenu il n'aurait aperçu le symbole de la maison qui venait d'être érigé sur un des plus hauts sommets, et il n'aurait pu entendre les rumeurs battre leur plein en ce lieu s'il l'avait quitté. La Main du Roi et ses filles étaient arrivées à Port-Real, et ce depuis aujourd'hui.
L'homme recula d'un pas, lançant un rapide clin d’œil à la concernée, un sourire en coin, puis se retourna pour s'enfoncer dans la foule.