_Voilà des jours qu'il n'avait pas plu sur le chemin de Braavos à Pentos. Le soleil était descendu de son zénith, glissant doucement vers les profondeurs de la Terre. Il restait encore plusieurs heures avant que la nuit ne vienne couvrir la cité de son manteau de pénombre, mais la route vers Port-Real restait encore longue et une mer devait être traversée. Non seulement il faudrait affronter la rudesse et la sécheresse du vent océanique, mais avant tout il fallait trouver une embarcation pour un homme et sa monture. Le destrier était d'une robe des plus communes, d'un bai brun foncé sans extravagance, ni liste ni balzane pour se fondre parfaitement dans la nuit ou dans les traversées de bois. Il n'était pas particulièrement grand bien qu'il soit de la taille moyenne des chevaux d'Essos, néanmoins c'était une bête calme d'une endurance à toute épreuve, et d'une vitesse pouvant s'avérer remarquable lorsque cela était nécessaire. L'homme qui la chevauchait était grand et svelte, d'une musculature cachée par des vêtements de la contrée et salis par le voyage. Ses traits étaient durs, sa mâchoire carrée, ses yeux d'un gris bleu glacé, ses chevaux mi-roux et mi-argenté. Ce n'était pas le vrai visage de Jaqen H'ghar. Le dernier contrat de Valar Morghulis avait eu effet quelques nuitées plus tôt, payé par un homme riche dont les affaires étaient corrompues par un homme aux traits marqués. Pourtant cet homme en question était un solitaire et peu de personnes connaissaient son identité, alors c'était une aubaine pour accaparer le visage d'un total inconnu, et passer inaperçu aux yeux de la population, comme un vulgaire voyageur de passage dans une des neufs cités libres. Il descendit de cheval, tendant les rênes à un garçon d'écurie derrière les portes de la cité. Le garçon, un jeune homme d'à peine vingt ans, probablement en apprentissage le pris en charge sans rechigner et conduisit la monture dans un lieu approprié à l'abri des voleurs. Il le paya la moitié de la somme, lui faisant remarquer que la seconde serait quand il récupérerait son destrier tel qu'il l'a laissé, puis il s'aventura dans les ruelles ensablées de Pentos. Il observa chaque détail comme à son habitude, prêta oreille aux discours de chaque personnes qu'il ne faisait que croiser, prenait le temps d'analyser chaque homme et femme afin de comprendre quels rangs ils étaient. Ils parlaient de vols, des grandes familles, du repas du midi, des voyageurs rencontrés, de fêtes qui avaient été à l'image de leurs hôtes, de marchandises, de négociations, des fameuses histoires concernant la maison des Targaryens et enfin des dernières rumeurs qui couraient sur toutes les contrées.

_Ses pas le menèrent à travers de nombreuses ruelles, découvrant avec attention le moindre recoins de Pentos. Il y avait forges, armureries, broderies, étalages, tavernes et tout autre genre de commerces qu'une cité telle que Pentos puis avoir pour subvenir indépendamment aux besoins de ses citoyens. Un certain temps passa, et l'homme sans-visage comptait alors trouver un endroit pour passer la nuit sans que quiconque puisse avoir une trace de son passage, quand il aperçu plus au loin une demeure richement ornée. Il aurait fallu être étranger à Essos ou complétement ignorant pour ne pas deviner de quelle demeure il s'agissait : c'était bel et bien la maison des Targaryens. Il ne prit pas le temps de s'arrêter, et bifurqua dans une rue qui y menait, se fondant dans la vague de corps qui déambulaient, se bousculant les uns les autres comme si leur unique but était de traverser cet étroit passage pour rejoindre leur compères et leur travail. Le remue ménage lui permis sans mal et dans une discrétion implacable de voler une pomme qui se dressait sur un tas d'autre, il la glissa furtivement sa poche. Puis les mètres qui le séparaient de la demeure se réduisirent considérablement. Elle était plus grande qu'il n'y paraissait vue de loin. Coutumier, il serait entré sans être vu, mais à quelles fins? Il n'avait aucun contrat à exécuter, aucune informations à quémander : seule sa curiosité aurait pu être assouvie mais elle était d'une bien piètre importante pour que l'homme daigne inventer une quelconque histoire pour y entrer, et la maison était bien gardée. Il la contourna alors, observant les fenêtres ouvertes avant d'aller s'adosser contre un mur brûlant sous le soleil. Ses vêtements lui offrirent une protection suffisante pour ne pas à avoir à supporter ce fardeau. Ses yeux remontèrent dans une ouverture qui faisait office de balcon, à en juger par les dires ce devait mener à une pièce principale. «C'fait rêver hein?» lança un vieil homme d'une apparence répugnante. Il sentait l'alcool à plein nez et venait probablement de la taverne plus loin au coin de la rue. Le regard que lui adressa Jaqen suffit à le faire taire, et l'homme passa son chemin, s'en allant troubler un jeune enfant qui se régalait d'une miche de pain qu'il avait trouvé au pied d'une porte quelques secondes plus tôt. Pourtant malgré cela, il avait remarqué des gens bien habillés, sophistiqués presque, issue probablement de sang noble pour que cette coutume singulière soit perpétuée de génération en génération. Entre autre, les citoyens étaient en majorité bien portant.

_Valar sortis la pomme de sa poche, et croqua dedans. Le jus remplis sa tâche et hydrata sa trachée, moment où il se rendu compte à quel point la chaleur l'avait assoiffé. Il mâcha le fruit, l'avala, et sembla le croquer à nouveau. Ses yeux qui avaient glissé sur la rue encore une fois remontèrent vers le haut de la demeure. Silencieux.

Le vent des Hautes Landes venait de se lever sur Pentos, dont les habitants, à l'abris de hautes murailles protectrices, se délectaient d'une légère brise fraîche. La nuit n'allait pas tarder à tomber sur la cité prospère et les Pentoshis semblaient déjà mettre fin à leurs activités diurnes : Les étals du marché couverts des fruits des recoltes du jour laissèrent bientôt place aux rues désertes et sans vie. Une après l'autre, les fenêtres des maisons blanches et des nombreuses tours aux toits de tuiles s'illuminèrent d'une lueur douce et chatoyante.
Le soleil teintait le ciel d'un rouge sanglant lorsque Daenerys pu enfin espérer être seule et tranquille.

La nuit... Un moment de répit bien mérité qu'elle attendait tout particulièrement. C'était lorsque les criquets retentissaient bruyament dans l'immensité des Landes, infatigables et immortels, que la princesse déchue trouvait le calme et la sérénités tant voulus malgré ce chahut ambiant : Plus aucun efforts à fournir, plus de sourires forcés et plus " d'affronts au Dragon".
Viserys menait la vie dure à sa sœur, et ce pour garantir la grandeur de la famille Targaryen. En effet leur fief n'avait plus rien de son prestige d'antan.
Un royal père assassiné, des trahisons par centaines... Il était vrai que les deux derniers héritiers du sang des Dragons n'avaient pas l'air aussi fiers que leurs ancêtres. Voyager de cités en cités et quémander l'hospitalité des plus riches habitants n'avait rien de digne. Alors Daenerys se devait de sourire, de tout accepter et de faire des courbettes pour paraître la plus honorable possible.

" Je serai Roi des sept couronnes Dany!" Ne cessait de lui répéter Viserys à chaque fois que cette dernière oubliait ne serait-ce qu'une minuscule formule de politesse. " Tu te dois de faire honneur au sang de Dragon qui coule dans nos veines ? Est-ce si difficile à comprendre?!"

Daenerys ferma brusquement les yeux comme pour faire s'envoler la puissante douleur d'une gifle imaginaire et s'avenca vers le balcon de la somptueuse suite dans laquelle Illyrio Mopatis l'avait gracieusement logée.
La princesse ne comprenait toujours pas la raison pour laquelle le riche marchant la comblait elle et son frère avec autant de ferveur. En l'espace de quelques semaines, elle n'avait jamais eu autant de cadeaux et de parures en tout genres.
La gentillesse n'était jamais gratuite et ça, Daenerys s'en était rendu compte au fil de ses nombreux voyages. Cependant, les intentions de son hôte étaient bien gardées et prévenir Viserys ne menait à rien. Se contenter de sourire et accepter les présents: Telles devaient demeurer ses prérogatives, à son grand désarroi.

Daenerys s'appuya sur le balcon et fixa le ciel pourpre d'un œil vitreux. Dans quelques jours, elle allait devoir s'unir avec Khal Drogo. C'était la volonté de son frère et l'unique chance de rendre aux Targaryen le trone qui leur appartenait de droit. Mais tout victoire imposait un sacrifice. Cependant, la simple idée de devenir la reine d'un sauvage brutal qui selon les rumeurs mangeait et couchait avec ses chevaux la répugnait.
Un lourd sanglots s'échappa soudain de la gorge nouée de la jeune femme dont le corps fut bientôt secoué de tremblements violents. Bientôt, une irrésistible envie de se laisser tomber de sa tour l'enivra toute entière. Ce ne serait pas si compliqué après tout: Une fois que son corps joncherait le sol des jardins du domaine de Mopatis, tous ses problèmes disparaîtraient en un clignement de cils... Était-ce la solution? La mort devait-elle être la seule condition à son bonheur?

En un gémissement de desespoir irrepressible, Daenerys se hissa prudemment sur le balustre de pierre orné de magnifiques aigles royaux. Le sol verdoyant était haut. Si haut. Le vent du soir berçait sa chevelure blonde emportant au passage une larme emplie de désespoir. De cette vie là, elle n'en voudrait jamais. JAMAIS!

La princesse sursauta soudain lorsqu'un léger bruissement de feuilles se fit entendre dans le silence du crépuscule. Elle descendit presque instantanément de son perchoir et essuya violemment ses larmes du dos de sa main. Si son frère la voyait ainsi perdre sa rage de vivre, la jeune femme ne donnerait pas cher de sa tranquilité future.

D'un geste vif, elle se recoiffa d'une main et remit en place ses jupons plissés par la brise chaude.

"Qui va la ?!" demanda t-elle avec une assurance qu'elle pouvait pretendre feindre avec une grande facilité.

_Il fallut attendre longtemps, quand le soleil n'était plus perceptible derrière les bâtiments et les brefs horizons pour qu'enfin une silhouette daigne apparaître au balcon. L'homme sans-visage avait visé juste en attendant que la cité s'endorme ; non seulement les rares personnages qui parcouraient les rues étaient trop pressés de retrouver leur domicile et ne prêteraient aucune attention à une ombre tapie dans une autre, mais ce qu'il vit confirma ses doutes quant à la rumeur qui circulait à propos d'un échange avec le chef barbare. La silhouette qui était apparue était nulle autre que celle de Daenerys Targaryen, reconnaissable par ses cheveux d'un blond pâle et par un corps aux formes généreusement formées pour son très jeune âge. Les dires des voyageurs n'étaient en nul point des euphémismes malgré celles qui dénigraient la situation actuelle de la famille. De là où il était, il ne pouvait percevoir ses émois mais le silence permettait d'entendre très légèrement les sanglots de la jeune Targaryenne. Comment une princesse même déchue pouvait-elle appréhender pareille insulte sans nuire à la réputation de sa propre famille? Ses yeux reflétaient la lumière qui émanait des fenêtres, observant avec grand intérêt les moindres faits et gestes de la demoiselle sur le balcon. Ce ne fut pas sa beauté qui intrigua l'assassin, mais quelque chose n'allait pas. Il le sentis avant qu'il ne la voit s'appuyer contre le muret de pierre d'ornements et il ne fallu pas plus de doute pour un serviteur du Dieu Rouge.

_Il avait beau être doué, ce n'était pas sur-homme. Aussi s'enleva t-il de l'esprit d'escalader la tour. Il avait un tour plus affûté dans son sac, probablement aussi rapide et surement moins dangereux que cette idée farfelue qui lui avait traversé l'esprit. Tout ce temps passé à attendre lui avait permis de compter les rondes, d'en déduire les relais, les principaux passages et les échanges entre garde. L'entrée dans la demeure avait donc était un jeu d'enfant, le reste fut plus compliqué car il ne s'était jamais aventuré dans cette dernière, et aucun plan n'était à sa disposition. Mais les hommes parlent beaucoup, et moins que les femmes. Il pris garde à ne laisser aucune trace, silencieux, furtif, excessivement rapide et efficace.

_Elle sembla reprendre le contrôle de la situation, s'arrangeant rapidement comme un vraie dame. «Qui va là !?» sonnèrent vers le dehors, l'attention de la jeune femme semblait être attirée en contre-bas. Jaqen H'ghar s'avança dans ce même et perpétuel silence, s'adossant dans le coin opposé de la Targaryenne, côté muraille, derrière elle. Il n'avait jamais été aussi ravi que sa soit-disant présence soit trahie par animal dans les fourrés. Entre d'autres cas, l'assassin l'aurait très mal pris. Mais cette nuit n'était pas un contrat, cette nuit il était en présence d'une personnalité dont il ne se doutait pas de l'importance. Les Maisons commençaient à prendre d'étranges décisions. Soit elles mèneraient à leur gloire, soit elles mèneraient à leur destruction. Dans le second pas, les héritiers légitimes du trône ne resteraient pas les bras croisés à Pentos, l en était certain.

« Le Dieu Rouge n'aime pas les offrandes gratuites. » murmura t-il distinctement et d'un calme désarmant. « Il aurait alors demandé le double. » Un fin sourire apparu en coin.

Une voix masculine s'était élevée derrière elle: Calme, à la fois rauque, douce et sauvage. Le sang enflammé de la jeune Daenerys ne fit qu'un tour à l'entente de ce timbre inconnu et se retourna brusquement.
Un homme se tenait là, grand, svelte et calme. Ses longs cheveux roux et blancs par endroits, légèrement ondulés, dansaient doucereusement dans la brise tout en suivant le rythme de la chevelure dorée de la princesse qui venait de reculer contre la balustrade de pierre. Le visage délicat de l'inconnu arborait un regard grave et noir, et même au repos, ses lèvres fines semblaient esquisser un petit sourire en coin.
Que faisait cet homme dans sa chambrée? Était-il un garde effectuant sa ronde de nuit et venant s'assurer que tout allait bien? Peut-être s'agissait-il d'un serviteur, bien que son accoutrement soit complétement différent de ceux qu'elle avait déjà pu remarquer.
S'il n'en était rien, la jeune princesse avait du soucis à se faire. Pour s'introduire jusqu'ici sans s'être fait repérer, il fallait être ni plus ni moins qu'un excellent professionnel.
A cette simple idée, la paranoïa compulsive et incessante de son frère l'enivra brusquement, comme si chaque battement de son cœur inoculait en ses veines une liqueur de crainte transie. Peut-être était il un mercenaire à la solde de Robert Barathéon, l'Usurpateur... Sans doute allait-il l'enlever pour forcer les Targaryen à se rendre et renoncer au Trône de Fer. Le plus simple serait même tout simplement de la tuer ici et maintenant pour empêcher son union avec le Khal Dothraki et empêcher Viserys de s'approprier une des plus redoutables armées de l'histoire.

Daenerys se crispa toute entière, la bouche légèrement entrouverte, les mains resserrées sur le balustre en pierre blanche du balcon derrière elle qui la séparait du vide. Les lèvres de la jeune fille frémirent brièvement avant qu'elle ne puisse prononcer le moindre mot, ses yeux violacés toujours fixés sur celui qui lui faisait face, tâchant de paraitre forte, calme et inflexible.

"Qui êtes vous ? Et surtout que faites-vous ici? Je... Je vous somme de me dire qui vous êtes, vous n'avez pas le droit d'être ici !" Ordonna t-elle promptement en un étrange ton mêlant timidité, crainte, et une certaine autorité.

Les longs cheveux blonds de la jeune princesse s’envolèrent soudain sous un brusque courant d'air qui sembla lui donner une prestance dont elle ignorait l’existence. Le silence cependant sembla s'installer et les fines mains de Daenerys ne tardèrent pas à se décoller lentement de la rambarde du balcon. Prudemment, et craignant une action soudaine et imparable qui lui vaudrait assurément un aller simple au pays des morts, elle voulu reculer un peu plus et ainsi allonger cette distance qui la séparait du potentiel agresseur... Cependant, seul le balustre de granit la séparait maintenant du gouffre au-dessus duquel elle s'était précédemment penchée. Piégée... Elle était piégée comme un souriceau.
La crainte et la raison la tiraillaient tour à tour: Courir et prévenir la garde serait la plus appropriée des décisions, si toute fois l'inconnu lui en laissait le temps... Mais si cet homme si adroit et si discret avait voulu porter atteinte à la vie de la Targaryen, quelque chose lui disait qu'elle baignerait déjà dans son propre sang... La curiosité s'empara alors de la princesse aussi vite que l'avait fait la crainte un peu plus tôt.

Elle secoua la tête brusquement comme pour se laver de la peur qui la paralysait. Avec un courage, ou un inconscience, qui jusqu'à maintenant ne lui était pas habituelle, elle lâcha la balustrade et se tint droite et grande devant le vide obscur. Elle attendit quelques secondes encore avant d’éprouver le besoin intense de se justifier de ce que ce dernier avait pu voir avant de la surprendre.

"Et puis de toutes façons... Je n'aurais jamais sauté..."

Daenerys s’éclaircit la gorge comme pour réprimer ses paroles. Qu'en avait-il à faire après tout? Il était peut-être même là pour la tuer. Un assassin n'avait nul besoin de connaitre la vie et ennuis de leur victime. Elle porta sa main à sa gorge, à ses cheveux puis à son cœur, et patienta quelques instants, prête à décamper à la moindre menace.

"Je... Je peux crier vous savez ?

_Il n'en avait pas attendu moins, et c'est avec un calme pur et solide que l'homme accueillis les menaces et les craintes de la princesse déchue, Daenerys Targaryen. Il avait déjà ouïe des histoires sur cette famille, dans laquelle s'était répandue la légende de dragons. Ironiquement, il constata qu'elle avait bien le sang chaud sous sa peau pâle. Mais de tous les dires qu'il avait pu entendre, n'étaient que des restes datant de plusieurs années, car il fallait l'avouer ; la famille Targaryenne n'était plus ce qu'elle était. Pourtant, oui pourtant, Jaqen H'ghar était assez croyant de superstitions et utilisateur de magie pour croire qu'un jour ces terribles créatures eurent existé. Mais aujourd'hui leur époque était belle et bien révolue, et la maison avait chuté en même temps que le Trône de Fer leur avait échappé. Il y avait dans cette histoire quelque chose de cruel et d'injuste, pourtant l'assassin ne parvenait à croire que l'honneur de cette maison avait définitivement disparu malgré ce mariage prévu auprès de réputés sauvages. Certains voyaient là, non pas un choix mais un dernier recours car pour eux aucune famille digne de ce nom n'aurait offert un fils à une princesse vagabonde. Mais Jaqen lui, voyait là un point stratégique. Comme il l'eut cru dès qu'il était parti de Braavos, la maison des Stark serait bientôt à Port-Réal : la Main du Roi et ses filles. Les plus grandes maisons s'éparpillaient, et des évènements fatals étaient arrivés. S'il avait été un prince bafoué à la conquête de son ancien héritage, Jaqen aurait choisi un moment pareil pour commencer des ... préparatifs. C'était malin, très malin. Mais très osé et risqué. Et apparemment pas au goût de cette chère princesse qui avait tenté de mettre fin à ses jours, pas plus tard qu'il y a quelques secondes. L'homme aux cheveux roux et blancs la regarda en silence, toujours un petit sourire en coin autant malicieux qu'inquiétant. Il semblait toujours avoir une idée en tête, et cet air lui donnait toujours un point d'avance sur ses interlocuteurs. Il aimait ça. Le sans-visage laissa la première réplique de la jeune femme dans le silence ; dans un premier cas il savait déjà ce qu'elle venait de lui annoncer, dans le second elle avait posé la question à laquelle jamais, oh grand jamais l'homme répondait. C'était comme faire un flop, un vide éloquent. Lorsqu'elle lui annonça ne pas avoir voulu sauté, l'assassin leva un sourcil soulignant une certaine perplexité. Malgré tout il su qu'elle disait vrai, car «ancienne» princesse ou non, le devoir pour honorer sa famille dans ce qui nous semble juste demeure à travers les âges et les obstacles.

« La jeune femme le pouvait depuis ce bruit au balcon, mais celle-ci en question ne l'a pas fait, pourquoi? » s'enquit-il de répondre dans un ton bas et d'une voix grave et suave. Néanmoins au risque de la pousser trop vite à bout, il ne l'informa pas que de toute manière, il aurait été inutile.

Mais... ils connaissaient tous les deux la réponse à cette question. Il était inutile de préciser que si telles avaient été ses intentions -de la tuer pour être précis- il aurait volontiers profité de sa position de faiblesse sur le balcon. Aussi cela aurait pu être un meurtre amèrement trop facile pour une femme de son rang, on aurait cru à un suicide. Un alibi, un angle de percussion correspondant à une chute libre volontaire depuis la chambrée de la demoiselle, de plus très bien gardée par des mercenaires faisans des rondes comme si elle avait été à un seul moment véritablement menacée de mort. Entre autre il se garda bien de révéler cette éventualité -qui en tant qu'assassin- bien que sans contrat, il eu le réflexe d'envisager. Déformation professionnel, dirons nous.

L'homme resta à sa place, sans ciller à un seul moment, sans lâcher son regard de la jeune femme. Elle avait du crans, et avait presque aussi soudainement que sa surprise, repris le faux mais rassurant contrôle de la situation. Quelque part, il admira cette tentative. Il se redressa.

« La femme ne noiera pas ses doutes par-dessus un balcon, elle ne fera que les bâtir. » glissa t-il avec un calme tranchant. « Il serait fâcheux que la princesse en question contrarie frère, promis et mort pour un si maigre doute parmi sa prometteuse vie. Fille de dragon. »

Pourquoi ne pas avoir crié ? Daenerys se contenta de cligner des yeux en guise de réponse. Elle ne le savait pas elle-même. Si elle avait effectivement eu l'impression d'être en danger dans les premiers instants, l'immobilité et le calme de son potentiel agresseur la déboussolait au plus haut point.
Certes, l'histoire des Targaryen était d'une tristesse et d'un drame sans nom. Ils n'étaient plus que deux... Deux pauvres enfants n'ayant aucune possession si ce n'était ce Trône qui leur avait été enlevé et souillé du sang de leur père. Ils n'étaient que pour le nouveau souverain, que deux épines nuisibles. Tant que celles-ci perduraient, la dynastie de Robert Baratheon, l'Usurpateur, ne pourrait atteindre la légitimité tant attendue. Illyrio Mopatis ne cessait de leur assurer que le peuple de Westeros n'attendait que leur retour, et rêvait en secret du jour où leur Prince légitime récupérerait les sept couronnes en les débarrassant du joug du faux Roi... Et Daenerys y croyait dur comme fer. Après tout, n'étaient-ils pas les descendants directs de la famille Targaryen? Et Viserys ? Serait-il à la hauteur de ce qu'attendait le peuple ? Aurait-il l’étoffe d'un Roi et les épaules assez larges et solides pour soutenir sept royaumes? La jeune princesse n'osait en douter.
Durant ses premières années de fuites, alors que les deux enfants royaux ne cessaient de vagabonder de cités en cités sous la protection du maitre d'armes de leur père, Daenerys avait vu la haine, la fougue et la mort dans les yeux de ceux qui escomptaient l'abattre... Et elle en garderait une image indélébile gravée dans un coin de sa mémoire.

Cet homme, à la chevelure mi-rousse, mi-argentée, n'avait pas ces yeux là. Pourquoi ne l'avait-il pas tuée alors qu'elle sanglotait lamentablement par dessus l'obscurité? C'est justement ce détail qui attisait en Daenerys, un brasier de curiosité ardente. Si effectivement il était là pour mettre un terme à sa vie : Qu'attendait-il?

"J'ai croisé de nombreux assassins Monsieur. Aucun d'entre eux ne m'a adressé la parole avant de sortir leur lame de leur fourreau et de se ruer vers moi..." Avoua la jeune femme tout en arrangeant une mèche bonde derrière une de ses oreilles.

En prononçant cette phrase, les battements de son cœur ralentirent quelque peu. Elle se sentit rassurée, comme si ses paroles avaient eu valeur de vérité générale. Après tout, n'était-elle pas une enfant naïve?... Mais une chose demeurait tout de même vraie : Si effectivement la détresse de Daenerys l'avait finalement pousser à sauter dans le vide... L'homme l'avait en quelque sorte sauvée... En quelque sorte...

"Vous ne savez pas ce que c'est... D'être la vulgaire monnaie d'échange d'un frère contre... Contre une couronne dont vous ignorez si elle lui sierra..."

Daenerys esquissa un sourire ironique et secoua la tête pour empêcher ses larmes de s’échapper à nouveau. Elle haussa les épaules et frotta d'une main un de ses bras nus.

""Ma vie prometteuse" est destinée à me contenter de suivre aveuglement Viserys... Sans jamais avoir un quelconque mot à dire... Je sais que c'est le genre de destin que toutes les princesses doivent suivre mais... C'est tout de même une triste vie prometteuse n'est-ce pas ?"

Pendant quelques instants, la voix rauque et calme de l'inconnu sembla bercer Daenerys, lui laissant entrevoir les images oubliées des terres auxquelles elle appartenait. Lentement, elle joignit ses mains lactescentes sans quitter le regard sombre et incroyablement dépourvu d'expressions de son interlocuteur, et avança d'un pas sans même s'en rendre compte, guidée par une curiosité imprudente.

"Vous n'êtes pas là pour me tuer n'est-ce pas? Êtes-vous de mon pays ? Est-ce vrai que mon frère est attendu par le peuple de Westeros?"

Daenerys le fixait, pleine d'espoirs, avec le regard que jetaient tous les enfants à l'affut d'une histoire fantastique.

_Il l'écouta, songeant sans mal que la princesse avait du ordonner l'absence d'intrus -gardes ou servantes- dans sa chambrée pour que son action hésitante n'ait que sa simple et véritable réflexion. Il ne fut donc pas inquiété lorsque des bruits de pas se faisaient entendre par-delà la porte, car de plus la princesse semblait avoir pris l'initiative de lui parler, et de ne pas crier. Quand elle eut terminé, l'assassin sans-visage ne répondit pas aux questions de la princesse, comme il le faisait si souvent auprès de ses interlocuteurs. Il ne releva pas la comparaison avec assassin, car cette défense aurait trahie son déguisement. Cette jeune femme qui lui avait parue désespérée, puis courageuse, lui sembla redevenir une enfant avide de curiosité et de réponses auxquelles les gens n'ont pas forcément réponse. Qui peut dire si tant de cœurs -dictés par leur propre vie et leur propre règles- réclamaient la présence d'une famille déchue mais aux histoires légendaires, pendant que le Roi de Port-Réal invitait une grande famille, dont le père et le roi même de la contrée du Nord autant respecté, deviendrait la Main du Roi? Il y avait tant de détails, tant d'histoires, tant d'espérances et tant de désespoirs qu'il était impossible de savoir ce que Westeros tout entier désirait.

« Westeros attend. Mais surement pas que votre frère, fille de dragon. » Se permit-il d'annoncer calmement, impassiblement, de manière à ce qu'au moins une des questions de la jeune femme trouve un intérêt à avoir été posée.

Il laissa planer de nouveau un silence, observant avec attention les réactions de la princesse. Mais il n'était pas là pour converser de choses et d'autres, il n'était pas là pour justifier sa présence, il n'était pas là pour dire de quelle contrée il venait, ni vers où il faisait route. Port-Real n'était plus qu'à une nuit de mer, certes il y trouvait là l'excuse d'un long voyage pour récupérer des provisions, se reposer ainsi que sa monture. C'était une banale mais très efficace excuse. Il la regarda, sans doute avec plus d'intensité que quelques secondes plus tôt.

« C'est un formidable jeu, jeune fille. » Il marqua une courte et calme pause. « Un jeu où vous disposez de nombreux pions qu'il ne vous reste qu'à abattre. » commença t-il alors, en accentuant d'une légère variance de ton le jeu. « Mais la vraie question demeure. L'homme l'apprendra. Bientôt. » Il se pencha légèrement vers elle, rendant plus intime la conversation : « Est-ce que la fille sait jouer? »

L'homme aux cheveux roux et blancs se redressa et recula légèrement et simultanément, un fin sourire en coin dessinait de nouveaux traits sur son visage. Ses yeux gris bleus étaient bien plus remarquables sans la pénombre d'un capuchon qui les couvrait jusqu'aux pommettes. Il laissa ses paroles faire le travail, se taisant alors. En réalité, s'il ne s'était pas déjà éclipsé par la porte, et s'il n'avait pas encore rejoint les plus bas quartiers de la cité de Pentos, ce fut pour la simple et unique raison qu'un tour de garde ne tarderait pas à passer de nouveau, et que Jaqen ne pourrait s'en aller sans lever la moindre alerte ou le moindre soupçon. Son départ n'était que retardé, mais il était imminent. Néanmoins son calme lui, légendaire, n'offrit aucun renseignement à ce sujet, aussi semblait-il prêt à demeurer longtemps en sa compagnie.

Lorsque l'homme mystérieux s'approcha un peu plus près encore, Daenerys cessa complétement de respirer, comme hypnotisée par les yeux d'un gris bleu glacial et profond.
L'inconnu ne sembla pas vouloir répondre aux nombreuses questions candides de la jeune princesse et cela ne l'étonna que trop peu. Comme la mort, il semblait tout savoir et tout avoir vu. Sa prestance si peu commune temoignait d'une certaine sagesse experte, et en faisait un individu intimidant à souhait : Une ombre dangereuse aussi omnisciente qu’omniprésente. Cependant, il prononça quelques mots avec un ton doucereux, qui laissèrent la jeune fille à la fois perplexe et tourmentée.

"Jouer" ? Que voulait-il dire ainsi? Daenerys entrouvrit légèrement la bouche sans lâcher le regard de l'inconnu de ses prunelles violacées. Pendant quelques instants, elle cru voir le reflet de son visage vaciller au fond de l’œil de ce dernier, mais secoua la tête comme pour chasser cette brève hallucination de son esprit.
La jeune Targaryen n'avait jamais vu Westeros, pourtant, celle-ci savait qu'un jour elle y serait chez elle. C'était son pays, il faisait partie d'elle, et de ses racines.
Quand elle réussissait à écouter l'air de rien les conversations qu'entretenaient Mopatis et son frère, des nouvelles du continent lui parvenaient quelques fois. Ainsi, avait-elle su que la Main de l'Usurpateur, Jon Arryn, avait été emporté par la fièvre. Les Stark auraient donc rejoint le Sud et Port Réal...
Et pendant ce temps, à l’abri de tous les regards et des mondanités, le dernier Targaryen se retrouverait bientôt à la tête d'une redoutable armée Dothraki assoiffée de sang. Mais allaient-ils seulement combattre pour Visérys. Avaient-ils un seul avantage à combattre eux qui ne se satisfaisaient que de liberté et de chevauchée sauvage?
Et elle.... A part le rôle de la monnaie d'échange... Qu'avait-elle de si important qui pourrait changer le destin de ce monde?

Jouer ? Jouer pour quoi? Pour qui? Elle n'était qu'une jeune princesse pour qui chacune des décisions importantes étaient prises par son frère! Sa destiné n'était que celle d'une pauvre suiveuse sans aucun droit si ce n'étaient ceux de sourire et de se soumettre. Elle se devait simplement de rester digne de son sang, d'obéir à son "Grand Dragon" de frère sans rien dire. Elle suivrait son sauvage d'époux sans jamais rien refuser, et finirait sa vie à un endroit où elle n'aurait jamais voulu être...
Toujours aussi accrochée au regard de l'inconnu, Daenerys secoua légèrement la tête avant de fixer ses pieds, les sourcils légèrement froncés.
Jouer n'est-ce pas? Elle allait devenir l'épouse d'un chef Dothraki... Du Khal Dothraki... Elle deviendrait sa reine d'ici quelques temps à peine. La reine d'une tribu de sauvages, certes... Mais une reine malgré tout. La jeune princesse aurait dès lors une certaine autorité... Encore fallait-il que les Dothraki l’acceptent, elle qui était si différente d'eux... Physiquement et mentalement...

Et si Daenerys y parvenait? Et si celle-ci arrivait à se faire aimer et respecter du nouveau peuple qui n'allait pas tarder à devenir le sien... Elle pourrait alors récupérer ce qui appartenait à sa famille... A coup sûr!
Bien entendu, les sacrifices allaient se faire nombreux... Mais une fois faits, Daenerys pourrait sans doute espérer une vie meilleur pour elle, comme pour sa famille.

La jeune princesse se redressa doucement, et d'un air déterminé, hocha la tête les poings inconsciemment serrés.

"Non Monsieur..." Dit-elle avec un ton beaucoup plus confiant. "Mais j'apprendrai."

Le vent soufflait toujours sur les hauteurs des tours de Pentos, et la chevelure argentée de Daenerys flottait gracieusement dans l'air doux et fruité des Landes si proches. Immobile, elle fixait toujours son interlocuteur, le regard à présent empli d'un courage et d'une force qu'elle pensait perdus quelques minutes plus tôt.

Sans même le savoir, l'homme si mystérieux venait d'assister à la naissance d'une reine aguerrie et joueuse comme il n'en avait jamais vu.

_Servir la juste cause, rendre ce qui a été volé à celui qui s'est fait prendre. Il y avait... quelque chose de paradoxale pour un assassin voleur de visages et d'identités. Pourtant la justice volée était rendue dans les démarches qui s'ensuivaient, et Jaqen H'ghar qui offrait des morts au Dieu Rouge, savait comment rééquilibrer le sens même de la vie et de la mort. A chaque mort qu'il offrait sous contrat, il faisait perdurer la vie d'une âme déchue. Ainsi le Dieu Rouge n'était jamais assoiffé, et jamais il était plein de ton son soûl. Le visage dérobé à cet homme non loin de Braavos, était désormais payé.

Ses yeux bleus glacés observèrent la jeune fille, miroitant discrètement sa féminine silhouette. Chaque secondes qui passèrent après ses derniers mots semblèrent la nourrir d'une force nouvelle, d'un espoir cette fois véritable qu'elle semblait accueillir avec intérêt. Du moins, elle le laissait pénétrer en son âme et son corps. L'homme aux cheveux mi roux et mi blanc fit un pas de côté, aussi calmement que lorsqu'il était arrivé. Puis s'arrêta de nouveau, la tête légèrement penchée sur le côté avec toujours ce même sourire en coin. Il remarqua le regard renaissant de la jeune femme, il vu ce qu'en elle avaient aspirés ses propres paroles. Il ne fut pas déçu. Non, bien au contraire, il constata non pas seulement avec satisfaction mais avec empathie cette nouvelle interprétation qu'elle avait de son propre-sort. Ainsi elle eut espoir que rien de cela ne serait vain, rien ne serait sans but, rien n'est terminé. Tout commence... absolument tout.

« L'homme le verra. » souffla t-il paisiblement.

Ses mains se levèrent subitement, allant chercher au-dessus de ses épaules le bas de son capuchon. Il ne lui fallu que quelques secondes à peine pour rabattre d'un geste précis et bref le tissus sur sa tête, cachant désormais ses cheveux mi-longs, son front et ses yeux. Il sembla regarder une ultime fois la princesse. Il quitterait Pentos demain, mais sommerait quelqu'un de lui apporter des informations concernant les choix et les avancés de la famille des Targaryen, sans que nul autre que le concerné ne le sache, sans qu'elle n'ait jamais le moindre doute. Il recula de quelques pas, face à la demoiselle avant de se retourner, ouvrant la porte. Il l’entrouvrit de moitié et s'y glissa comme une ombre.

Port-Real l'attendait. Bravoos fut un mort. Pentos fut une vie. Port-Real sera ce que le cycle du Dieu Rouge exerce. Un mort pour vie, une vie pour un mort. Il y avait un contrat, pour Port-Real.