J’étais sûre d’une chose, si j’avais eu l’impression d’être complètement dans mon élément dans cette foule épaisse et libre lors de mon arrivée à Port-Réal, l’étroitesse –enfin, tout est relatif mais voyons cela à côté de la grandeur de la ville- de la chambre de la demoiselle qui défaisait ses valises ne me rappelait que trop bien ma condition de servante attachée à la maison Stark. Je sortais des piles de vêtements brodés de malles pleines, les posant sur le lit magnifique de la dame de ces lieux. Pourtant, bien que parfaitement attelée à la tâche, ne m’emmêlant en aucun cas les pinceaux quant à l’ordre que devaient avoir les vêtements de la jolie demoiselle, mon regard ne cessait de dériver vers la fenêtre qui me faisait envie au plus haut point. Avec un peu de chance on nous octroierait une petite pause après l’installation des gens importants de la maison, et je pourrai me sauver pour parcourir les rues et flâner à ma guise entre les étals qui me tendaient leurs petits bras imaginaires implorants de manière à ce que je vienne y jeter un œil.

M’étant arrêtée un instant, le nez en l’air pour contempler cette douce promesse, je me remis bien vite au travail, ne désirant en aucun cas me faire remarquer par la dame et manquer une bonne occasion de sortir. Je remis une épaisse mèche auburn derrière mon oreille, ayant renoncé à couper mes cheveux pour le moment, et me contentant de coincer la majeure partie de mes mèches dans le bonnet alors que le reste de ma chevelure reposait librement sur mes épaules plus découvertes, tout comme mes bras, que de coutume. Mais on pouvait le comprendre, le temps le permettant parfaitement, et les robes du nord se révélant bien trop chaudes pour un ciel aussi bleu et une herbe verte dépourvue de toute trace de neige.

Je pliais une pièce de tissus, les yeux dans les vagues avant de laisser échapper un soupir d’aise. Une belle promesse ce voyage, dommage que je sois obligée de passer mes premières heures à respecter à la lettre les ordres d’une gamine pourrie gâtée qui ne devait même pas connaître mon prénom alors que je la connaissais depuis mes plus tendres années. On reconnaît toujours un puissant, mais ceux qui font cette puissance ne vivaient jamais ailleurs que dans l’ombre de leurs maîtres. Petit pas en arrière, je me baisse, je pose, je me relève, et me retrouve à quelques centimètres de la fille du seigneur. Bon, ok, elle est belle, il va sans dire que la regarder n’est pas désagréable, mais elle m’insupporte au plus haut point avec sa dentelle et ses tissus riches qui me font cruellement défaut. Elle ne se rend pas compte de ce qu’elle a et c’est véritablement un crime à mes yeux… Je m’éloigne, plus par soucis de ne pas salir ses vêtements avec les miens quelques peu gâtés par la poussière sans pour autant que je paraisse sale, alors que les siens respirent un peu plus la propreté. Evidemment il va sans dire qu’elle changera tout de même de vêtements dans les heures qui suivront, ne serait-ce que par soucis de respecter les convenances, bien que son voyage ait été bien moins éprouvant que le mien.

Un grand sourire sur mon visage –je fais attention à mes dents et m’efforce de les brosser régulièrement grâce à une petite brosse que j’ai vaguement inventée avec les moyens du bord-, sans pour autant lever les yeux ce qui serait un manque de soumission indigne de sa personne, j’hésite à prendre le risque de m’adresser à sa personne. Je ne la connais pas très bien et je ne sais pas vraiment dans quel état ce voyage peut l’avoir mis, et rares sont les dames de ce monde à adorer ces longs déplacements desquels on ressort toujours courbaturés comme si on avait couru à en perdre haleine sur une longue distance. Me raclant la gorge j’ose enfin faire la chose la plus humaine qui soit et qui m’est tout de même interdite librement ; prendre la parole.

« Dame Sansa, veuillez m’excuser, mais, vous changerez-vous une fois vos malles défaites, que je demande à ce que l’on monte les affaires nécessaires pour votre toilette ? »

Je garde la tête baissée en souhaitant de toutes mes forces qu’elle dise non à mon offre, ou que le bain, si elle choisissait d’en prendre un, soit suffisamment brûlant pour que sa jolie peau blanche devienne aussi rouge que la mienne lorsque je travaillais dans les cuisines au-dessus de marmites brûlantes. Cette princesse m’exaspère au plus haut point, et j’assume totalement la jalousie que j’éprouve devant la vue de ses beaux atours alors que je dois me contenter de ce que l’on me donne. Et puis, il faut avouer que la grâce qui caractérise les gens de sa classe –je parle d’elle, qu’on s’entende bien, pas de sa sauvageonne de petite sœur- a de quoi faire pâlir d’envie n’importe quelle jeune fille rêvant de beaux chevaliers et de beaux destriers –donc pas moi, hein, on est bien d’accord, moi je veux juste les coiffures et les bijoux, avec le destrier, à l’occasion- alors que ma propre vie n’irait jamais faire rêver qui que ce soit. Dommage.

Spoiler:

Mais pourquoi j’étais allée l’ouvrir moi ? C’était irréfléchi, stupide, une perte de temps ! Pourquoi permettre à cette petite pimbêche d’exercer son pouvoir sur moi alors qu’elle était plongée dans ses pensées et absolument pas disposée à donner des ordres à tort et à travers. Je me serai bien mise une bonne baffe pour virer la bêtise de ma tête mais ça aurait paru bizarre et aussi étrange que cela puisse paraître je ne voulais en aucun cas me retrouver à la rue sous prétexte de folie, mon sort étant nettement préférable dans cette maison que dans le bordel où j’aurai immanquablement fini. Ou tuée. Au choix. En tout cas j’étais sûre d’une chose, ça n’aurait pas été très reluisant comme fin.

Esquissant un sourire, je levais les yeux vers la petite beauté, de loin ma cadette, à qui il aurait fallu que je baise les pieds si on me l’avait ordonné par un quelconque hasard. Ou de la malchance. Me dirigeant vers les vêtements dépliés, je choisissais une robe plus légère qui me parue particulièrement agréable à porter pour la saison. Ne m’attardant pas sur la douceur de l’étoffe de peur de me sauver en courant avec si je la tenais trop longtemps entre mes doigts, je la posais sur le lit, la couleur émeraude du tissu tranchant sur les draps blancs. En saisissant une autre, d’un bleu profond, je la posais à côté. Toutes deux étaient splendides. Et, à mon goût, la verte restait plus jolie, même s’il ne m’était pas permis de formuler mon avis. Je prenais les éléments complémentaires qui reposaient encore au fond des malles, et entrepris tant bien que mal de les disposer de manière agréable sur le lit, m’attardant pour les rendre les plus présentables possibles. Le tout en moins de deux minutes de manière à ne pas faire attendre la future petite princesse.
Et mère du futur héritier.
L’horreur suprême quoi. D’ailleurs en m’y attardant je me demandais comment elle prenait la nouvelle d’un tel mariage, car s’il devait être intéressant politiquement, on ne lui avait pas demandé son avis ce qui, à sa place, m’aurait donné envie d’arracher les yeux à mon père... Quoi que, le seigneur Stark était assez impressionnant, et le temps que je lui saute dessus –dans le cas où j’aurais été sa fille- il m’aurait déjà arrêtée avec un seul doigt avant que je ne lui crève les yeux.

Me dirigeant vers la porte pour déposer les bijoux, et tirer le paravent derrière lequel la princesse se changerait, je jetais un regard à cette petite demoiselle qui me paraissait tout de même bien menue pour porter un enfant. Mais après tout, c’était bien là ce que l’on attendait d’elle, elle devait donc y être préparée. Pourtant prise d’un doute –et sans doute d’un éclair de folie- et me sentant mal pour cette toute jeune fille même si je ne l’appréciais pas plus que ça, je choisissais pourtant de l’interpeler une nouvelle fois. Au pire, elle me ferait fouetter, mais cet acte me donnerait bonne conscience, ce qui n’était absolument pas négligeable.

« J’ai préparé deux robes pour que vous vous changiez Dame Sansa… Mais, veuillez excuser cette question que vous jugerez sans doute inutile, est-ce ce mariage qui vous rend aussi rêveuse ? »

Enfin, pas si inutile que ça, mais s’écraser était sans doute la solution avec les puissants, et puis, peut-être qu’avec le temps j’arriverai à mieux la cerner, mais pour le moment je ne pouvais pas l’apostropher sans avoir cette pointe de crainte à l’idée d’en subir les conséquences.
Ce faisant, je lui désignais tout de même les robes en espérant qu’elle aimerait tout de même un peu mon choix, étant donné que j’avais pris les plus agréables à porter au toucher, pour cette saison. Et puis, j’étais novice dans l’art d’habiller une dame, ce voyage était une sacrée montée en grade pour moi, peut-être que cette demoiselle le prendrait en compte avant de m’hurler dessus.